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Les précautions à prendre

Dans l’esprit du dirigeant d’une société limitant la responsabilité des associés les choses sont en général assez claires, ce qui lui appartient en propre n’est pas à la merci de ses créanciers professionnels, c’est du moins ce qui lui avait été généralement expliqué lors de la signature des statuts…

Cette attitude est compréhensible, du moins dans un premier temps, en effet, seul le patrimoine de la société étant affecté par la procédure collective, la vente du bien immobilier détenu par le dirigeant in bonis (ce dont il faudra s’assurer) peut théoriquement s’effectuer librement, sans l’autorisation du juge-commissaire ni l’intervention d’un administrateur ou liquidateur judiciaire.

Cependant, s’il existe des risques non négligeables de remise en cause de la vente, ils seront oblitérés par les diligences du praticien permettant de consolider la vente (« la menace vaut mieux que l’exécution »).

Limitation des cas d’extension de la procédure collective au dirigeant de la société :

Cas d’extension :

Rassurons-nous, pour les procédures collectives ouvertes depuis le 1er janvier 2006, le risque de remise en cause de la vente est minime, en effet, la loi du 26 juillet 2005 a supprimé l’« extension sanction » au dirigeant, prévue en cas de faute de ce dernier ou de non paiement par lui du passif mis à sa charge à l’issue d’une action en comblement de passif. Mais, tout risque d’extension de la procédure au dirigeant n’est pas définitivement écarté, subsistent en effet deux cas d’extension :

– pour fictivité de la personne morale, qui suppose l’absence des éléments constitutifs du contrat de société. Les indices de cette fictivité seront généralement trouvés dans l’absence d’affectio societatis (Cass. Com. 11 mars 2008, n° 06-19.968, n° 06-20.081, NP, n° 349 F-D ; RTD Com. 2008, 773, n° 1, obs. C. Champaud et D. Danet) ou de vie sociale (CA Paris, 3e ch. B, 1er juill. 2005, RG n° 2005/05274). Dans les relations entre une SCI et une société d’exploitation, il a été jugé que le fait que la société immobilière tire la totalité de ses revenus de la société d’exploitation n’est pas suffisant pour caractériser sa fictivité (Cass. Com. 29 avr. 2003, n° 99-20.800, NPT, Act. Proc. Coll. 2003/17, n° 217). Ces critères de fictivité diffèrent sensiblement de ceux de la confusion des patrimoines.

– et pour confusion des patrimoines qui nécessite une imbrication des patrimoines de la société et du gérant, avec des flux financiers anormaux (article L. 621-2 du Code de commerce), ce qui implique une confusion des éléments qui composent les deux patrimoines de telle sorte qu’il n’est plus possible de distinguer ce qui est propre à chacun (Cass. Com., 16 juin 2009, pourvoi n° 08-15.883, Gaz. Pal. 3 nov. 2009, n° 307, p.4). A titre d’exemple, l’extension de la procédure a été admise pour deux SARL exerçant la même activité dans un siège social commun, chacun réglant régulièrement le passif de l’autre, employant les mêmes salariés qui utilisaient indifférent le matériel appartenant à l’une ou l’autre des sociétés (Cass. Com. 16 juin 2009 n° 08-15.883, BRDA n° 19/09). Il a également été jugé que l’abandon de loyers et la prise en charge de travaux d’entretien courant par la SCI bailleresse suffisait à caractériser une confusion de patrimoines avec la société locataire placée en liquidation judiciaire (Cass. Com. 20 janv. 2009, n° 07-17.026, JurisData n° 2009-046685 ; JCP E N° 14, 2 avr. 2009 p. 27).

Auteurs de la demande et délai d’action :

L’ordonnance du 18 décembre 2008 a modifié l’article L. 621-2 précité en ouvrant la faculté de demander l’extension à l’administrateur, au mandataire judiciaire, au ministère public ou d’office. L’action n’est enfermée dans aucun délai, et peut donc être exercée tant que la procédure est en cours. En effet, la prescription triennale ne concerne que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif en raison de fautes de gestion (article L 651-2 du code de commerce), et a donc été écartée en cas d’extension, qui n’est pas soumise à une prescription spéciale (CA Paris, 6 avr. 1999 : D. Affaires 1999. 907).

Conséquences de l’extension :

Les dates de cessation des paiements dans ces cas d’extension avec unicité des procédures, sont identiques car les patrimoines des personnes concernées doivent être réunis dans une procédure collective unique (Cass. Com. 24 oct. 1995, n° 93-20.469, NP, Rev. Proc. Coll. 1996, p. 206, n° 12, obs. Calendini – Cass. Com. 8 juin 1999, n° 97-10.276, NPT, Act. Proc. Coll. 1999/12, n° 155 ; LPA 8 juill. 1999, n° 135, p. 5, note P.M.).

Une telle extension de procédure n’aurait donc pas d’effet rétroactif (Cass. Com. 7 avr. 2009, n° 07-16.061 : JurisData n° 2009-047813 ; Act. Proc. Coll n° 99, 22 mai 2009 n° 147 par P. Cagnoli) mais l’acte de vente serait passé en période suspecte et annulable dans les conditions prévues aux articles L 632-1-2° du code de commerce (nullité de plein droit en cas de contrat commutatif déséquilibré) ou L 632-2 (nullité facultative en cas de connaissance de l’état de cessation des paiements par l’acquéreur, cette hypothèse étant limitée dans la mesure où il peut difficilement en avoir connaissance).

Ces risques d’extension sont, nous l’avons vu, relativement réduits, ainsi dès lors qu’ils sont écartés, le notaire peut procéder à la signature de l’acte et remettre le prix au vendeur sous réserve des développements ci-après.

Autres risques :

Sanctions pécuniaires :

L’obligation aux dettes sociales prévues par l’article L. 652-1 du code de commerce a été supprimée par l’ordonnance du 18 décembre 2008, toutefois, le dirigeant peut éventuellement être condamné au titre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif en raison de fautes de gestion au visa de l’article L. 651-2 du Code de commerce, dans un délai de trois ans à compter du jugement d’ouverture de la personne morale. Précisons que cette action en responsabilité pour insuffisance d’actif est limitée à la procédure de liquidation judiciaire.
Cette sanction, purement pécuniaire, n’aurait aucune incidence sur la validité de l’acte de vente. Au titre du devoir de conseil, le notaire doit cependant informer les vendeurs des risques financiers qu’ils pourraient encourir et sur la nécessité de répondre de ces dettes éventuelles, comme d’ailleurs s’ils se sont portés caution pour des dettes sociales.

Action Paulienne :

L’organisation par le gérant de son insolvabilité  dans le but de soustraire des actifs du droit de gage de ses créanciers, outre d’être pénalement répréhensible (trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende : article 314-7 du Code pénal), permet au mandataire de justice ou à un créancier exerçant l’action ut singuli  d’exercer l’action paulienne (article 1167 du Code civil). Dans l’hypothèse où le gérant aurait organisé son insolvabilité dans le but de ne pas pouvoir honorer le passif social pouvant être mis à sa charge (article L.652-1 du Code de commerce). En effet, l’action en nullité de la période suspecte n’est pas exclusive de l’exercice par le mandataire de justice de l’action paulienne (Juris Cl. Procédures collectives fasc. 2502 n° 16 et suiv).

L’action paulienne n’est en effet pas soumise à l’interdiction des poursuites individuelles (Cass. Com. 2 nov. 2005, n° 04-16232, B. 214 ; APC 2005-19, n° 236, obs. Vallansan) et a pour conséquence de rendre la vente inopposable auxdits créanciers (Cass. Com. 8 oct. 1996, JCP E 1997. I. 623, n° 10, obs. Pétel et II. 914, n. Guyon ; D. 1997. 87, n. Derrida et Somm. 78, obs. Honorat ; JCP G 1997. I. 4002, n. Jamin).

L’action paulienne ne porte pas atteinte à l’acte frauduleux, qui demeure valable entre le débiteur auteur et le tiers complice de la fraude (Cass. Com. 14 mai 1996 : Bull. civ. IV n° 134) mais permet cependant au créancier de poursuivre la vente forcée de ce bien libre de tout droit (Cass. Civ. 1ère, 12 juin 2005 : Bull. civ. I, n° 318 ; D. 2005. 2653, note Gautier).

En conséquence, même si les risques de nullité sont minorés sous la législation nouvelle, il est impératif de ne passer l’acte de vente qu’après avoir vérifié sur l’extrait K bis (daté du jour de la vente) de la société en procédure collective qu’aucune extension n’a été décidée.

Il est cependant déconseillé de prendre attache auprès des organes de la procédure pour savoir s’ils envisagent cette extension, en effet, un tel contact pourrait inciter le mandataire judiciaire ou le liquidateur à envisager par la suite  une procédure en ce sens et le dirigeant social pourrait le reprocher au notaire.

 

En conclusion, dans la mesure où le prix de vente est sérieux et où l’acquéreur n’avait pas connaissance d’éventuelles difficultés du vendeur, les risques de nullité de la période suspecte, en cas d’extension de la procédure, peuvent être sinon totalement écartés, du moins extrêmement réduits et le prix pourra être remis au vendeur sous certaines précautions. Il s’agit toutefois d’une appréciation au cas par cas, et en cas de doute il sera opportun de consigner les fonds en attendant d’obtenir des renseignements permettant de se dessaisir des fonds.

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