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La position du bailleur face à l’ouverture d’une procédure collective contre le preneur

En cas de mise en procédure collective du preneur, le bailleur inquiet se tournera le plus souvent vers le rédacteur du contrat de bail pour connaître l’étendue de ses droits et obligations.

Les questions traités dans la présente étude seront donc d’ordre pratique, le propriétaire des murs voudra en effet savoir comment se poursuit l’exécution de ce contrat, s’il peut en demander la résiliation ou éventuellement s’opposer à sa cession, et connaître les modalités de recouvrement des loyers impayés.

Avant d’envisager les aspects pécuniaires, rappelons brièvement les principes régissant les baux en cours en matière de procédures collectives.

L’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 est venue régler le problème de coordination qui existait entre l’article L. 622-13 du code de commerce applicable aux contrats en cours en général, et l’article L. 622-14 , réservé au bail. Désormais, seuls les « I et II » de l’article L. 622-13 sont applicables au bail commercial en cours, ce qui signifie que ce contrat n’est pas résilié du fait de l’ouverture d’une procédure collective , «l’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur ».
Il résulte de ces dispositions que le sort du contrat de bail en cours est entre les mains de l’administrateur ou du liquidateur judiciaire qui doit prendre la décision de sa propre initiative.

Le « télescopage » des deux articles ci-dessus avait suscité une controverse relative à la possibilité pour le bailleur de mettre en demeure le mandataire d’opter ou non pour la continuation du contrat. La Cour suprême a tranché le débat en considérant que l’article L. 622-13 alinéa 1er prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure restée sans réponse de la part des organes de la procédure ne concernait pas le bail, lequel demeure par conséquent régi en ce domaine par l’article L. 622-14.
Depuis l’ordonnance de 2008, la même solution s’applique pour les procédures postérieures au 15 février 2009, le bailleur ne peut plus mettre en demeure le représentant des créanciers de se prononcer sur le sort du bail en cours.

La résiliation du bail par les organes de la procédure intervient dorénavant, sans formalisme particulier « au jour où le bailleur est informé de la décision […] de ne pas continuer le bail » .
Si l’administrateur décide de ne pas poursuivre le bail, les sommes qui pourraient être dues au bailleur du fait de cette résiliation (dommages-intérêts, clause pénale), doivent être déclarées au passif dans le délai d’un mois à compter de la décision de résiliation par l’administrateur judiciaire.

Si toutefois l’administrateur (ou le liquidateur) décide de poursuivre l’exécution du contrat de bail, l’article L. 622-13 II du code de commerce lui impose de fournir la prestation promise au cocontractant du débiteur, c’est-à-dire d’en payer les loyers. Lorsque cette obligation n’est pas respectée, le bailleur recouvre, ainsi que nous allons le voir, la possibilité de demander la résiliation judiciaire du bail.

Recouvrement des loyers impayés

La créance du bailleur obéit à deux régimes distincts selon qu’elle est antérieure ou postérieure au jugement d’ouverture.

1) Loyers antérieurs au jugement d’ouverture de la procédure collective.

La règle de l’arrêt des poursuites individuelles posée par l’article L. 622-21 du code de commerce concerne tous les créanciers, et notamment le bailleur. L’article L. 622-24 dudit code prévoit qu’ « à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire ».
Le bailleur est donc soumis à l’obligation de déclarer sa créance, au même titre que les autres créanciers, pour toutes les sommes qui lui sont dues antérieurement au jugement d’ouverture. Ces sommes comprennent, outre les loyers et charges, les accessoires, les impôts relatifs aux locaux s’ils sont prévus dans le contrat de bail comme étant à la charge du preneur (taxe foncière ou taxe d’enlèvement des ordures ménagères notamment). Autrement dit, tout ce qui est dû par le preneur au titre des locaux loués doit être déclaré auprès du mandataire judiciaire dans les deux mois à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture.

Il bénéficiera du privilège « réduit » du bailleur d’immeuble repris à l’article L. 622-16 du code de commerce , ainsi l’assiette couvrira les deux dernières années de loyer qui précèdent l’ouverture de la procédure.

2) Compensation des loyers impayés avec le dépôt de garantie

Par exception à l’interdiction de principe de payer toute créance antérieure au jugement d’ouverture, le législateur admet le jeu de la compensation des créances connexes à l’article L. 622-7 alinéa 1 du code de commerce.
Or le dépôt de garantie et les loyers sont des créances connexes, le bailleur aura donc la possibilité d’imputer le montant des loyers impayés sur le dépôt de garantie du preneur. Cette compensation devra s’opérer prioritairement sur les loyers postérieurs. La doctrine estime que cette jurisprudence ne ferait pas obstacle à la stipulation dans le contrat de bail, qu’en cas de procédure collective du preneur, le dépôt s’imputera en priorité sur les loyers antérieurs déclarés. En présence d’arriérés de loyers, le bailleur doit impérativement déclarer sa créance pour pouvoir faire éventuellement jouer la compensation avec le dépôt de garantie pour créances connexes.

Par conséquent, si le bailleur n’a pas déclaré sa créance au passif, le dépôt de garantie devra être intégralement remis au liquidateur.

3) Loyers postérieurs au jugement d’ouverture.

Le bailleur devra déclarer au passif les loyers antérieurs à la liquidation judiciaire , et informer le mandataire liquidateur des loyers postérieurs au jugement d’ouverture de la procédure pour bénéficier du privilège général de la procédure. Cette information doit être « portée à la connaissance » de l’administrateur et, à défaut, du mandataire judiciaire, dans le délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation ou, au plus tard, dans les six mois de la publication de la liquidation judiciaire ou, le cas échéant, dans le délai d’un an à compter de la publication du jugement arrêtant le plan de cession.

Le bailleur ne pourra demander la résiliation judiciaire du bail commercial, c’est-à-dire de sa propre initiative, que dans les conditions prévues à l’article L. 622-14-2°, c’est-à-dire en cas de loyers impayés postérieurs au jugement d’ouverture, au-delà d’un délai de trois mois à compter dudit jugement.

Sort de la clause de solidarité

En cas de cession du droit au bail dans le cadre de la procédure collective, le bailleur perdra automatiquement le bénéfice de la clause de solidarité du cédant envers le cessionnaire », l’article L. 622-15 du code de commerce dispose en effet qu’« en cas de cession du bail, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite ».
Néanmoins, le bailleur pourra se prévaloir de la clause de solidarité du cessionnaire envers le cédant, même si elle n’a pas été reproduite dans l’ordonnance du juge-commissaire.

Le dernier point traitera des moyens dont disposera le bailleur de s’opposer à la cession isolée du droit au bail du preneur ou lors de la vente du fonds de commerce.

Le bailleur peut-il s’opposer à la cession du bail commercial ?

Aux termes de l’article L. 641-12 du code de commerce, sauf plan de cession, le liquidateur peut céder le bail « dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent » . Il en résulte que le mandataire doit respecter les clauses restrictives du droit de céder. Si le contrat contient une clause prévoyant l’agrément du cessionnaire par le bailleur, l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la cession ne dispense en aucun cas le liquidateur d’obtenir cet agrément .

Le bailleur qui entend contester l’ordonnance du juge-commissaire devrait pouvoir interjeter appel ou se pourvoir en cassation. En effet, désormais, la voie d’appel ou de recours contre les jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances du juge-commissaire n’est plus réservée au ministère public. Si toutefois le bailleur n’avait pas qualité de partie à l’instance, il lui resterait la voie de la tierce-opposition.

Quelque soit la forme du recours, les arguments du bailleur devront être de nature à remettre en cause l’ordonnance autorisant la cession du fonds, or certains auteurs s’interrogent sur le maintien de l’obligation d’agrément du bailleur au regard de la rédaction de l’article L. 642-19 du code de commerce issue de l’ordonnance du 18 décembre 2008.
En effet, la cession se fait désormais « aux prix et conditions » que le juge-commissaire détermine. Reste à savoir si cette expression autorise à se passer du consentement du bailleur…
Un arrêt récent de la Cour de cassation a estimé que le fait de céder un droit au bail alors que le bail était résilié, sans avoir demandé l’accord du bailleur constituait une « éventuelle erreur de droit ou mauvaise appréciation de faits […] mais ne sont pas de nature à constituer un excès de pouvoir ». Or, dans une précédente décision de la même chambre, il a été jugé que le juge commissaire qui a ordonné la vente d’un droit au bail alors que, d’une part, le bail avait été résilié et que, d’autre part, il n’avait pas demandé l’agrément du bailleur exigé par les clauses du bail, commettait un excès de pouvoir, et que son ordonnance devait être annulée. Cet arrêt de 2011 vient donc restreindre l’exercice des voies de recours du bailleur.

Rappelons qu’en cas de refus d’agrément du bailleur à la cession, il faudrait obtenir une autorisation judiciaire de passer outre, celui-ci pourrait également être condamné à des dommages et intérêts pour refus abusif.

1 Repris par l’article L. 641-12 en liquidation judiciaire.
2 Le bail ne sera pas considéré comme un contrat en cours si au jour de l’ouverture de la procédure collective, la décision de justice relative à sa résiliation est passée en force de chose jugée, au sens de l’article 500 du code de procédure civile (Cass. com., 15 févr. 2011, n° 10-12747 ; 28 oct. 2008, n° 07-17662 ; 3 juillet 2007, n° 05-21030).
3 Une clause prévoyant la résiliation du bail commercial du seul fait de l’ouverture d’une procédure collective serait nulle (article L. 145-45 du code de commerce).
4 Cass. com., 2 mars 2010, n° 09-10.410, P+B+R+I ; Rev. Lamy Dr. aff. N° 48, avr. 2010, par H. Vercken.
5 dès lors que le courrier du mandataire est clair et non équivoque
6 articles L. 622-14 1° et L. 641-12 1° du code de commerce.
7 Article L. 622-16 dudit code.
8 Cette solution s’applique à la liquidation judiciaire puisque ce régime est calqué sur celui de la procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, même en l’absence de poursuite d’activité.
9 « Le bail commercial à l’épreuve des procédures collectives » par R. castel et A. Romain-Huttin, Rev. Lamy Dr. aff., n° 48, avr. 2010.
10 Article L. 641-12 3° en liquidation judiciaire.
11 « Le sort du bail commercial dans les procédures collectives » par F. Kenderian, Litec 3e éd., n° 40.
12 L. 631-14 pour le redressement judiciaire et L. 641-12 pour la liquidation.
13 La condition de connexité suppose l’existence de deux créances réciproques issues d’un même contrat.
14 Cass. com., 24 juin 2003 : JurisData n° 2003-019743 ; JCP E 2003, 1665, n° 12, obs. F. Kenderian.
15 M. Cabrillac et Ph. Petel, JCP E 2001, p. 1423, n° 3.
16 Conformément aux dispositions de l’article L. 622-24 du code de commerce (Cass. com. 17 mars 1192 n° 90-17.525 : RJDA 7/92 n° 758 ; Cass. com. 3 avril. 2001 n° 98-14.961 : Act. Proc. Coll. 2001-10 n° 120 ;  Cass. com. 3 mai 2011 n° 10-16.758, RJDA 2011 n° 719).
17 article L.622-24 du code de commerce.
18 Article L. 622-17, IV dudit code.
19 Article L. 641-13, IV.
20 Article L. 641-12 3° en liquidation judiciaire.
21 Article L. 641-12 3° en liquidation judiciaire.
22 Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-23.539 : JurisData n° 2011-020545, JCP E n° 42, oct. 2011, 1741.
23 A l’exception de la clause de solidarité du cédant envers le cessionnaire, ainsi que nous l’avons vu.
24 CA Paris, 26 févr. 1999, Gaz. Pal. 1999, 2, som. p. 387, note P.-H. Brault
25 L’article R. 642-37-3 alinéa 2 du code de commerce prévoit que les recours contre ces décisions sont formés devant la Cour d’appel
26 Cass. 3e civ., 16 févr. 2011, n° 10-14.945.
27 Cass. com. 3 juin 2009, n° 07-15708, Act. Proc. Coll. 2009-14, n° 215.
28 A. Cerrati-Gauthier à propos de l’arrêt de 16 févr. 2011 précité, Annales des loyers, avr. 2011, n° 4.

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